Canalblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

le blog de Martin Taurerond, écrivain

10 juin 2012

Les Vivants se font chier en Enfer, quand les Morts s'amusent au Paradis...

première marche

 

Il faut que je sorte, que je traverse la chambre avec ses larmes noires de moisissure, ses déchets étalés à l'attention d'une colonie de fourmis grouillant unies, car une fois la nuit venue, ce qu'elles feront de ma chair endormie, ce n'est qu'une simple bouchée, elles me parcourront et leur chef ordonnera la mort, d'un mouvement bref, qui mènera cette armée de pinces dégueulasses à dévorer ma dépouille lentement, dans le vice, violemment! je dois partir! Pourrai-je me réveiller?... saurai-je me lever?... je dois partir! Les murs peu à peu aspirent la pièce, concoctant le sombre projet de m'écraser, de me presser, de puiser mon essence – elle coulera telle une pisse qu'on sue, tirée de ce cadavre en vie qui se distend, victime du morcellement –, comme ils tambourinent, hurlant, les issues de mon existence envahie de poings géants serrés, étendue sur l'infini et les portes, les portes sont des gardiens bien peinés, tordus sous la pression d'une brume courroucée, battant le pavé tremblant, et un soupçon de temps suffira à les forcer à plier et chuter!... je dois partir! Me faufiler entre les enclumes alignées fonçant, glissant sur les reliefs de colonnes vertébrales décharnées, dénuées de réalité matérielle, nous sommes ces pantins aliénés, vagabonds, tirés par des fils de fer, survivant là où abonde le torve monde, pris dans l'esquive permanente des chocs sourds – pleurés du vide – arrachant à l'homme sa vue, désormais réduite à des images figées – armées de massues impatientes – défilant selon l'impassible cadence du chaos, bercées dans la mélodie d'un enfer chéri, en-dehors de quelque refuge qui soit, sur une peau d'épines, qui n'est autre que la dernière terre à naviguer il faut y aller, il faut y aller!...

Il me faut marcher...


deuxième marche

 

Traverser la Ville et ses ruelles qui déchantent, son régiment dispersé de feux plantés là, de sensualités plastifiées tassées sous vide, de Sexes voilés, de réclames errantes que portent jambes et bras, ont-elles un regard? me voient-elles? ont-elles de la peine dans leur besogne, en me visant de leur pompe invisible? non... combien de temps avant que mon énergie ne soit entièrement sucée? Un instant... et c'est ici, alors, que gisera ma charogne asséchée, écrasée d'une foule de corps esseulés, de cette folle tribu peuplée d'adolescents vieillards et violents qui me reniflera avec dédain et brièveté puis, de décision collective, consultera Publicité, afin qu'Elle se prononce : peut-on, oui ou non, puiser quelque chose encore de cette espèce de chiffon à forme humaine?... Verdict... on me glissera entre les barreaux des égouts comme on remplit l'Urne, laissant agir les eaux troubles de la procuration...


troisième marche

 

Je pourrais rentrer chez moi, et abandonner la quête du château, je devrais rentrer chez moi, car les panneaux me guettent, les visages défigurés par la curiosité me scrutent, ils me jugent j'en suis sûr mais, évidemment, si je m'en vais, je ne saurai jamais s'ils portaient, en vérité, sur moi quelque mauvaise opinion, remarque, à ce propos Nietzsche comme Rousseau ont, après tout, élu la nature pour environnement social favori, et pris refuge dans le sein de la misanthropie, cependant ils étaient vieux, à ce moment-là, quand moi, maintenant, je suis encore jeune, je dois me faire violence pour un choix somme toute fort peu cornélien : rentre-je chez moi, ou non? Je suis un enfant pathétique, aux lèvres gercées... boirai-je? je devrais car, ainsi, ma vie en ressortirait fatalement raccourcie – quoique celle de Chinaski fût assez longue, trop pour celui qui la portait – mais cela ne fera, de toute manière, qu'amincir le tas de décisions à trancher... la décision, je maudis cette lourde épée machiavélique avachie au-dessus de moi, par-delà les toits!... là-bas une tribu de singes nus a décidé de m'approcher, ils arrivent et me demandent l'heure, comment pourrais-je la connaître, moi? j'ai une sainte horreur de tout ce qui collabore avec le temps, cette fumée que traverse notre armée pacifiste aux échines courbées... mais qu'est-ce que On m'attrape à la gorge!...


quatrième marche

 

Une arène sans gradins, aux piliers de chair violente, un attroupement partagé entre la haine et l'hilarité, réuni dans la barbarie, soudé dans l'excitation ; le calvaire est une courte plaine de bitume, on y trébuche pour y recevoir les tourbillons secs de coups, les pluies de salive et les torrents d'injures ; le corps est une usine à douleurs, une fabrique à malédictions portées à son encontre propre, on y souffre, à genoux, réduits à soumettre l'âme à son règne unique ; l'homme seul a refusé la musique des chaises à écartèlement, de ces trônes qu'on explore naturellement, enfoncés dans le néant qu'enferment les accoudoirs aux couleurs du narcissisme et de la bestialité ; la foule traque les solitaires, elle est le parfait instrument de sa destruction ; la foule a traversé les champs précédant les villes afin de me tirer de mon asile, en riant de mes yeux blanchis dans la terreur!... l'ombre des corps disproportionnés, remués d'une démarche sauvage et tordue lorsqu'elle m'attrape, est le feu noir des origines de l'homme et l'horizon poussiéreux de son avenir, elle chante le cri du fond des glaciers vagabonds et silencieux...


cinquième marche

 

À nouveau me voilà sur le pas de la porte, là où, auparavant, régnait la Mort, qui m'attendait, avant que je ne l'esquivasse, et une goutte rosie s'écrase après une courte escale sur le tremblement de mes mains, je tourne la clef pour entrer... Que t'ont-ils fait, Merlin?... que t'ont-ils fait, ces salopards? Assumeras-tu, minable que tu es, la peine de voir, ne serait-ce qu'une seconde, le reflet que tu es, dans l'embrasure de la fenêtre encastrée face à la douche, un vulgaire visage boursouflé, couvert de poches violacées remplies du pus de la violence, du mépris, du dégoût, de la haine et puis du viol, c'est une averse de crachats purulents que tu prends sur toi en la traversant, Merlin, bois un coup, Merlin, bois un coup mon petit misérable ami, ma pute à battre, bois un coup, achève-toi, abats ce qui reste, quelques années suffiront, tu le sais, à détruire cette bien sale enveloppe qui te porte, détruis-la, détruis-la! ou alors... ou alors... détruis-les, ces chiens que la terre a chiés comme des champignons avariés... débarrasse le plancher du monde, tu seras ce héros rêvé, tant attendu depuis que Jésus n'est plus espéré... en vérité, je te le dis, Merlin, équipe-toi, de n'importe quoi, une planche, une pelle, une masse quelconque et retrouve-les, dans l'ombre d'un carrefour oublié, Merlin les retrouvera, dans les tréfonds de la cité, dans les entrailles d'une poubelle, jusqu'au fin fond du trou du cul de leur mère s'il faut aller jusque là il ira fouiller pour les y trouver, les verra terrorisés, entassés contre les briques où se déversent les sombres lumières, et les frappera, et les cognera, et les tuera dans les délices d'une orgie teintée, dansant le ballet des fracas et savourant le choeur des crânes fracturés, et sur cette pile de chair mélangée, à l'univers il aura exposé ses capacités!...


dernière marche

 

On avait délogé le corps de Merlin aux abords du matin pâle, quand le ciel décrassait sa peau mauve en l'éclaircissant, entre les lisières de voitures aux yeux surexcités, en concurrence, et les fenêtres qui, une à une, s'éteignaient, achevant leur réveil strictement régulé. On l'avait décroché comme on récolte un fruit pourri oublié ici. Sur le bureau, gardée d'un bataillon dispersé de cadavres de bières, attendait sagement une page salie :

« Sans la chaleur d'une femme, je bois. Au royaume des anxieux, la Mort est reine. Et son île géante est le dernier point serein que l'enfant égaré, pris dans les cycles incessants de son naufrage, ainsi que les profondeurs de l'océan accueillant celui-ci, aperçoit. Elle est le dernier lieu où l'on n'ira pas me chercher, la seule réserve naturelle qui reste. Avec, en tête, la certitude d'un avenir ligoté sur l'autel de l'exploitation la sordide, je bois. L'Apocalypse est passée là sans qu'on la vît, nous en sommes les tristes résidus calcinés pataugeant sur un tas de cendres cyclopéen. Bienheureux, le Mal invente les besoins qu'il frustre aussitôt, les solutions nids à problèmes, les pervers chéris et leurs soumis du mois... il renouvelle l'évolution la belle, et fait de l'homme une matière première... Malheur à qui n'est que charbon!... Malheur à lui!... il rendra les coups reçus en effaçant les bleus dans l'alcool et le tabac, fumer, boire, fumer, boire, fumer, boire, que faire d'autre?... rien, il n'y a rien d'autre à faire... Je suis fatigué, les journées sont longues. Et j'ai besoin de calme... »

L'enquête fut close. Le propriétaire s'impatienta un temps, harcelant la mère du défunt, afin qu'elle payât le loyer. On ramassa les excréments qui s'étaient écoulés, avant qu'un nouveau locataire ne remplaçât Merlin.

 

Publicité
Publicité
le blog de Martin Taurerond, écrivain
Publicité
Archives
Publicité